Vers l’infini et au-delà

9 septembre 2008

« Les cadres montent vers leur calvaire

Dans des ascenseurs de niquel

Je vois passer les secrétaires

Qui se remettent du rimmel »

Michel Houellebecq

Hier, entretien dans le célèbre quartier de la Défense. Quartier magique et scintillant avec ses tours interminables dont les carreaux reflètent une lumière pure et productive. Immense espace de vie regroupant tout ce dont l’être humain moderne peut rêver : du béton, des entreprises, des arbres, du béton, un immense centre commercial avec un Virgin, des routes, du béton, des habitations de cadre friqués coincées entre deux tours, et enfin, du béton… Le rêve du cadre français se trouvait donc à portée de main pour le jeune plouc de province que je reste malgré mes habiles subterfuges quotidiens.

 Je me retrouvai donc, tel l’homme Stendhalien maître de son temps, au beau milieu d’une foule hétéroclite de cadres moyens à la prestance aussi assurée que possible suivis de pintades aux coupes de cheveux et lunettes carrées, habillées classe mais cool, mais pas trop. Autour de moi, non loin des ilots artificiels de nature donnant un semblant de vie à cet immense conglomérat de béton, des statues se dressaient fièrement depuis leurs pieds d’estales. Un pouce géant pas ci, un orteil par là, plusieurs oeuvres furent très clairement inspirées des modèles grecs d’autrefois dans leur tentative anatomique de l’être humain grandiose auquel il manque un bout de bras pour faire plus vrai.

Je ne pus que difficilement échapper à l’ironie suprême du lieu : les statues célébrant l’homme dans toute sa splendeur et son unicité dans un quartier réservé à la plus grande broyeuse d’êtres humains qui existe, l’entreprise. Dans le quartier de la Défense, les statues de l’unique regardent, impassables et indifférentes,  des clones humains déguisés en pingouins s’agiter au doigt et à la baguette.

« Nous sommes tous de pauvres abrutis conditionnés », me dis-je en vérifiant avec inquiétude la qualité de mon noeud de cravate.

Réception boisée, sourire froid, ascenseur au fond à gauche, 19ème étage, je suis attendu par ce que je déteste et méprise le plus au monde, à savoir une Chargée de Recrutement, du département des Ressources Humaines. Le premier coup d’oeil m’informe que celle-ci ne dérogera pas à la règle : regard hautain et satisfait, sourire faux, regard déjà attentif cherchant les signes d’anxiété chez le candidat avant de poser la célébrissime question qui engage l’entretien avant même d’avoir pu poser ses fesses à un bureau.

« Vous n’avez pas eu trop de problèmes pour trouver ? »

Sourire ultra bright : « Aucun. »

« Ah là là, au début, je n’arrêtais pas de me perdre. C’est tellement grand ici, une fois, je me suis même trompée de tour ! Hi hi hi ! »

C’est généralement à ce moment que l’on prend l’envie de fuir ces couloirs taupe, de fuir cette hideuse créature qui vous fixe de son regard éteint de poisson mort, de fuir la machine à café vomissant sa bile noirâtre, alors que  la vérité nous écrase sans pitié : je suis tombé sur le modèle de cruche bavasseuse , cet entretien va durer TRES longtemps.

Je laisse traîner mon regard entre ses seins le plus discrètement possible. « Laissez-moi vous présenter l’entreprise, ainsi que le poste pour lequel nous nous rencontrons aujourd’hui »… Ses bras maigres ainsi que ses épaules quasi inexistantes trahissent un régime de carence que la pauvre fille doit s’imposer chaque jour en suivant la malheureuse doctrine du corps émacié. Encore une victime de la presse féminine. « Nous parlons donc ici d’un poste de responsable qualité, avec une très forte implication réglementaire. Il s’agit d’assurer la transversalité des données au sein des différentes entité tout en étant force de proposition… »  Je me surprends à l’imaginer nue, ligotée, un bâillon en bouche, ses petits seins se soulevant au rythme de sa respiration saccadée alors qu’elle voit approcher le fouet. Ses sourcils se soulèvent. « Pouvons-nous revenir sur votre parcours de ces dernières années ? Je vois que vous avez voyagé, c’est génial ! » Pas d’alliance au doigt. Je tente de l’imaginer, rentrant chez elle après sa journée de boulot passée à voir défiler du cadre au mètre, satisfaite d’avoir joué son rôle dans l’ordre des choses avant de retrouver son chat et son gode Speed Rabbit 6.

« Vraiment, je suis très contente que nous ayons pu nous rencontrer, je vous tiendrai au courant pour la suite des évènements ! »

Mais qu’est-ce que je suis allé foutre là-bas ?

Une Réponse to “Vers l’infini et au-delà”

  1. goji said

    je vais mettre ce commentaire ici, mais il pourrait très bien être sur un autre article.

    tout ça pour dire que je prends énormément de plaisir à te lire ; je retrouve dans tes articles un certain style que j’apprécie et que tu revendiques par ailleurs.

    Ton blog est le seul à apparaître fièrement dans mon univers Netvibes. Go on.

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